Les billets de Thierry Bur n°3 : Tracking Signal, un excellent indicateur de la qualité des prévisions

03 mar
3 mars 2014

Blog-Cereza-Icone-Thierry-BurL’élaboration de prévisions de qualité est un exercice difficile. Il ne s’arrête pas une fois les prévisions établies.

En effet, tout comme les autres processus de la supply chain, il est nécessaire de se mettre dans une démarche d’amélioration continue, en commençant par mesurer la qualité puis en identifiant et en exploitant des axes d’amélioration.

Dans le cas de la prévision, on peut être tenté de mettre en place des alertes de prévisions, qui seraient susceptibles d’identifier les prévisions à revoir car considérées comme non optimales.

J’ai pu pour ma part tester de multiples alertes et évaluer leur pertinence (capacité de l’alerte à pointer des prévisions inadaptées avec une forte probabilité de confirmation du caractère inadapté par le prévisionniste voire par comparaison avec la demande réelle constatée a posteriori). La pertinence des alertes est souvent médiocre, ciblant de nombreuses prévisions alors que seul un pourcentage minime des prévisions (valeur ou modèle de prévision) doit être modifié… à l’exception du Tracking Signal[1], ce qui en fait à ma connaissance la  plus pertinente alarmes de prévision malheureusement encore trop méconnue et trop peu utilisée. Elle a pourtant été créée par Robert G. Brown, l’inventeur du lissage exponentiel qui a révolutionné la façon de calculer des prévisions de la demande.

Mode de calcul du Tracking Signal

Le Tracking Signal correspond au cumul des erreurs de prévision (Valeur réelle – Prévision) sur des périodes consécutives divisé par l’écart moyen absolu (ou Mean Average Deviation – MAD). En l’absence de biais, le cumul des erreurs de prévisions devrait globalement se compenser et rester contenu. Rudolph Lewandowski[2] précise que la probabilité que le Tracking Signal dépasse +4 ou est inférieur à -4 est de 0,1%.

Proposons une illustration très simple :

Cas n°1:

Période

1

2

3

4

5

Prévision

110

110

120

120

120

Valeur réelle

94

114

127

114

132

Ecart (ou erreur)

-16

4

7

-6

12

Ecart Absolu

16

4

7

6

12

Article d'expert n°2_Logistique_Tracking Signal 1

Dans le cas précédent, l’écart absolu moyen est de 9, moyenne arithmétique de l’écart absolu (un calcul sur la base d’un lissage exponentiel aurait pu donner des résultats proches) et le cumul des erreurs de prévisions est de -1. Le tracking signal est donc de -1 / 9 soit -0,11.

Cas n°2:

Période

1

2

3

4

5

Prévision

110

110

120

120

120

Valeur réelle

94

106

113

114

108

Ecart (ou erreur)

-16

-4

-7

-6

-12

Ecart Absolu

16

4

7

6

12

Article d'expert n°2_Logistique_Tracking Signal 2

Dans le cas présent, l’écart absolu moyen est également de 9, en revanche la prévision est systématiquement supérieure à la demande, conduisant à un cumul des erreurs de prévisions de -45.

Le tracking signal est donc de -45 / 9 soit -5, soit une valeur très importante, qui ne fait que caractériser le biais des prévisions, celles-ci étant systématiquement surestimées.

Limites et variantes

Rudolph Lewandowski fait remarquer avec justesse que, lorsque le signal d’alerte a dépassé les limites admises, le signal mettra beaucoup de temps pour revenir vers 0. On risque de ce fait de poursuivre la génération de l’alerte alors que le rétablissement a déjà eu lieu… et donc de déclencher l’alerte de façon non pertinente.

Une solution alternative, la méthode de Trigg et Leach s’appuie sur les mêmes principes et permet de pallier aux limites du Tracking Signal, car elle prend en compte un coefficient de lissage permettant d’accorder un poids plus important au passé récent. Le signal d’alerte est dans ce cas de cette formule compris entre -1 et +1.

Enfin, le seul cas dans lequel un tracking signal est peu pertinent concerne les cas où l’écart absolu moyen (MAD de 5 par exemple) est très faible par rapport à la prévision (200 par exemple). En effet, dans ce cas, même si l’erreur est peut être toujours dans le même sens, l’erreur de prévision reste très limitée (2,5% dans l’exemple) et ne justifie généralement pas une correction de la prévision.

Retour d’expérience de la mise en œuvre du tracking signal

J’ai pu expérimenter l’utilisation opérationnelle de cette alerte, dans un contexte où la prévision était calculée sur 100,000 articles et où la revue des prévisions de chaque SKU (stock keeping unit) n’était pas envisageable.  La mise en place d’un  tracking signal non totalement orthodoxe (on ne cumulait les erreurs de prévision que sur les quelques derniers mois de l’historique) et en positionnant une limite inférieure au seuil théorique (par exemple entre 2 et 3) a permis de mettre en évidence efficacement des prévisions erronées, par exemple de très fortes saisonnalités confondues par le système de prévision avec une tendance, en ciblant à peine plus des 0,2% des SKU concernées par ces anomalies de prévision.

Dans le même contexte, le tracking signal, utilisé en tant qu’indicateur de la qualité des prévisions, a permis de mettre en évidence que les prévisions des articles en cours de démarrage était globalement sous-estimées. Ce constat a permis par la suite d’améliorer le mode de prévision des articles présentant ces caractéristiques.

Cas d’emploi et recommandations

Aussi perfectionnés soient-ils, les systèmes de prévision ne peuvent calculer des prévisions pertinentes pour tous types d’articles et de profils de demandes. On peut déjà se satisfaire d’un calcul cohérent des prévisions pour 99% des SKU.

En revanche, le système de prévision doit être en mesure d’identifier les cas particuliers pour lesquels une revue par le prévisionniste est plus que recommandée. Ce sont donc des méthodes telles que le tracking signal et Trigg et Leach qui sont susceptibles d’apporter une réponse opportune.

Cependant, plutôt que d’utiliser aveuglément ces méthodes, je préconise de bien comprendre le mode de calcul de la méthode par le système de prévision afin de s’assurer qu’elle répond de façon satisfaisante aux attentes ou de la paramétrer de façon plus adaptée.

Les cas d’emploi du tracking signal peuvent être de deux ordres :

1-     D’une part, le tracking signal peut pointer des alertes sur les SKU dont l’erreur de prévision est très « soutenue » et nécessite une revue par le prévisionniste. Ce dernier pourra, selon le cas :

  • Modifier le modèle de prévision, si ce dernier s’avérait inadapté
  • Apporter une correction à l’historique de la demande s’il génère une perturbation des prévisions
  • Apporter des ajustements à la prévision calculée en intégrant sa connaissance du marché

2-     D’autre part, comme indicateur de la qualité de la prévision. La qualité de la prévision peut être caractérisée de diverses façons complémentaires :

  • Le centrage de la prévision : la prévision est-elle être bien centrée, elle ne présente pas de biais (pas de tendance à la sous-estimation ni à la surestimation)
  • L’amplitude de l’erreur de prévision (en valeur absolue) : cette erreur sera prise en compte pour le dimensionnement des stocks de sécurités
  • La variation des prévisions d’une période à la suivante, permettant de caractériser l’effet bullwhip.

Le tracking signal est un indicateur pertinent pour évaluer le centrage des prévisions. Utilisé comme indicateur de la qualité des prévisions, il peut fournir des informations précieuses à condition d’exploiter les données à un niveau suffisamment agrégé : quelle est la qualité des prévisions selon les acteurs les ayant établies, celle des prévisions éclatées depuis une prévision pyramidale, quelle est la qualité des prévisions selon la position dans le cycle de vie de l’article, etc. L’analyse de ces diverses informations permet de contribuer à l’amélioration continue du processus de prévision.

En synthèse, les alertes de type tracking signal sont une solution très pertinente pour à la fois détecter des anomalies de prévision et mesurer la qualité de prévision. Leur mise en œuvre nécessite généralement un effort restreint pour un enjeu important d’amélioration de la qualité de la prévision. Cependant, le point le plus délicat de la mise en œuvre de cette méthode consiste de s’assurer au préalable que l’intégration de cette fonctionnalité dans la solution logicielle a évité les limites et les travers mentionnés ci-avant.

Notes :

[1] Si nous ne souhaitons pas adhérer au jargon anglophone, nous pouvons toujours utiliser les termes explicites proposés par l’Office québécois de la langue française : indice de déviation soutenue ou signal de dérive  

[2] Rudolph Lewandoswki, La Prévision à court terme, Dunod, 1985. Nota Bene : les algorithmes développés par R. Lewandowski sont intégrés dans une solution APS majeure.

Auteur : Thierry Bur

Le prochain billet de Thierry Bur aura pour thème : « Lean et Supply Chain Management ».

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