Adapter le réseau ferré à la France de demain
Notes personnelles et compte-rendu du séminaire « Vie des affaires » de l’Ecole de Paris, 24 mai 2013.
Dans le cadre des séminaires « Vie des affaires » de l’Ecole de Paris du Management, Pierre Messulam, Directeur de la stratégie ferroviaire et de la régulation à la SNCF, est intervenu le 24 mai 2013 à l’Ecole des Mines de Paris, sur le thème : La France en 2030 : développement démographique et dynamique des territoires.
L’analyse part d’une question : comment financer les besoins en infrastructure identifiés dans le Schéma National des Infrastructures de Transport (SNIT) et évalués à 100 mds€, dans un contexte de crise financière du système ferroviaire ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de trouver un compromis entre les trois logiques inhérentes aux acteurs principaux du système ferroviaire : le transporteur, le gestionnaire d’infrastructure (GI) et l’Etat.
La logique du transporteur. C’est une logique de flux, qui doit permettre de répondre aux questions suivantes : qui doit être transporté ? Des jeunes, des moins jeunes, des abonnés ? Combien sont-ils ? Combien peuvent-ils payer ? Où vont-ils ? P.M. : « La logique du transporteur est donc celle de quelqu’un qui gère des flux, rarement stables dans le temps comme dans l’espace, et qui est, en permanence, dans l’évanescent et le fluctuant ». La stratégie du transporteur consiste donc à anticiper ces flux pour remplir les wagons et rentabiliser ses actifs.
La logique du GI. C’est une logique de stocks, qui doit répondre à la question suivante : quel volume doit être transporté et à quelle fréquence ? P.M. : « Quand vous construisez une voie ferrée, l’infrastructure durera au moins un siècle, voire plus. Cette infrastructure a deux caractéristiques fondamentales : le marché de l’occasion n’existe pas et la relocalisation des actifs est impossible. Ce stock, du point de vue du capital, est donc illiquide et immobile ». La stratégie d’un GI vise alors à augmenter l’intensité d’usage des infrastructures pour couvrir les investissements.
La logique de l’Etat. C’est une logique d’équité territoriale. Les transports assurent la continuité du territoire et servent de variable d’ajustement des disparités territoriales et fiscales. Ils accélèrent leurs mutations endogènes (activité industrielle, mouvements démographiques etc.). P.M. : « Tous les citoyens paient l’impôt et ils contribuent, par le budget de la Nation, au développement des infrastructures du pays. Il existe donc une demande politique, que l’on peut considérer comme légitime, de la part de ceux qui ne bénéficient pas du TGV Paris-Lyon, alors qu’ils ont contribué à le financer, pour rétablir une certaine égalité en obtenant leur propre desserte TGV ». La stratégie du décideur public consiste donc à répondre à cette demande d’égalité.
P.M. : « Nous sommes donc dans un jeu à trois acteurs, chacun ayant, d’une certaine façon, raison. Mais comment trouver le compromis entre la volatilité des flux, la permanence des réseaux et l’imaginaire social et politique qui sous-tend une forme de cohésion de la société ? »
Les trois ne sont pas incompatibles. L’approche développée par Pierre Messulam repose sur les dynamiques territoriales, c’est-à-dire sur la géographie et la démographie. Les prospectives à 2060 confirment le vieillissement de la population française, moins mobile et moins riche. P.M. : « Sur la période 2015-2060, la part des jeunes de moins de vingt ans se réduira modérément, passant de 24,2 % en 2015, à 22,1 % en 2060. Sur notre marché clé école-domicile, cette relative stabilité est donc bonne pour nous. Considérant le marché des seniors, nous constatons une croissance de la tranche des soixante ans et plus qui passe, sur la même période, de 25 % à 33 % ». La question est alors de savoir où seront les séniors dans 20 ans, quels types de déplacements effectueront-ils et quel sera leur pouvoir d’achat.
Le réseau d’aujourd’hui est lui aussi vieillissant et mal adapté à cette demande. Notamment, les infrastructures de transport de charbon et de minerai de fer en Loraine, ou encore la faiblesse des liaisons intermodales avec les ports pour le transport de marchandises, résultent de choix parfaitement fondés en leur temps, mais désormais obsolètes. P.M. : « La région PACA, par exemple, voit sa croissance de PIB freinée par l’impéritie du réseau de transports terrestres sur le littoral, là où sont concentrés l’essentiel de la population et de la création de richesses. Comme il n’y a qu’une autoroute et une voie ferrée, toutes deux saturées, nous travaillons donc avec RFF pour trouver une alternative moins onéreuse qu’une LGV à vingt milliards ne correspondant pas aux besoins immédiats de la région ».
En conclusion, la définition du réseau de transport de demain émerge d’un compromis entre les trois logiques d’acteurs évoquées plus haut. Ce compromis se base sur une approche par les dynamiques territoriales. Les évolutions démographiques, les mouvements géographiques et les mutations industrielles doivent guider les décisions d’investissement en infrastructure de transport de passagers et de marchandises. En ce sens, la SNCF développe une stratégie de « mass transit », qui embrasse les trois logiques en se focalisant sur les besoins de transport de la vie quotidienne. P.M. : « Le plan stratégique que nous finalisons actuellement met clairement au sommet de nos priorités le mass transit, c’est-à-dire les transports de la vie quotidienne, en Île-de-France et dans les grandes métropoles de province. L’urbanisation croissante de la population fait que la plupart des Français a besoin de transports en commun efficaces et, dans certaines configurations géographiques, seul le réseau ferré peut répondre à des besoins de six ou sept cent mille passagers par jour sur un axe donné. Mais il ne peut pas le faire seul car un tel réseau ne diffuse pas sur l’ensemble d’un territoire : il faut donc mettre en place une stratégie de complémentarité, avec du rabattage sur les gares soit par des transports en commun, soit par le covoiturage ou des parcs relais, afin de massifier les flux.
Nous amorçons donc un virage important en affirmant la priorité des investissements sur le mass transit et de la remise du cœur actif du réseau à un haut niveau de performance ».
Auteur : B. L.
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